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Films Noirs
23 décembre 2014

So Well Remebered . Edward Dmytryk

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Production : Adrian Scott (RKO)
Scénario : John Paxton
d'après un roman de James Hilton
Photographie : Freddie Young
Musique : Hanns Eisler

John Mills (George Boswell)
Martha Scott (Olivia Channing)
Trevor Howard (Le docteur Whiteside)
Patricia Roc (Julie Morgan)
Richard Carlson (Charles Winslow)

En 1945, le jour de la reddition de l'Allemagne, au cours des délibérations du conseil municipal de Browdley, une petite ville ouvrière du Lancashire, son maire, George Boswell, retrace les 25 dernières années de sa vie, et par la même l'histoire de sa ville puisqu'il aura passer sa vie à servir sa communauté. Tout débuta quand en 1919, celui qui était alors le journaliste du modeste journal local et un conseiller municipal aimé et écouté, défendit la candidature d'Olivia Channing, une jeune femme qui postulait au poste de bibliothécaire adjoint, une candidature rejeté par tous en raison de la réputation exécrable du père de la jeune femme qui rejaillissait sur sa fille. John Channing, le propriétaire de la filature de coton et donc le plus important employeur de la ville avait en effet escroqué et ruiné ses propres ouvriers ce qui avait entrainé sa condamnation à une lourde peine de prison et la fermeture de l'usine. Libéré depuis peu, John Channing était revenu vivre dans la vaste demeure qui domine la ville ou père et fille vivaient en solitaire. Convaincu par le discours de George Boswell, le conseil municipal avait accepté d'engager Olivia ce qui avait rapproché les deux jeunes gens qui envisageaient même bientôt de se marier…

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Dans 50 ans de cinéma américain, l'un des rares ouvrages en français évoquant ne serait-ce qu'en quelques lignes ce film, les auteurs parlent d'un film qui "dépeint les efforts d'un journaliste pour améliorer les conditions de travail dans une petite ville industrielle". Oui mais ce film de Dmytryk n'est pas aussi directement que ce que ces propos pourraient faire penser un film social, il aborde ce qui est tout de même indiscutablement son vrai sujet, de biais, par la voie du romanesque. Ce film abordant de manière plus frontale la condition ouvrière et les luttes sociales, il le tournera deux ans plus tard lors de son second séjour en Grande-Bretagne. Toutefois, même dans Give Us This Day/Christ in Concrete, tout en faisant un état des lieux réaliste des conditions de travail et de vie d'une classe sociale en faisant le portrait de groupe d'une petite communauté d'ouvriers du bâtiment d'origine italienne, il ne renoncera pas pour autant au romanesque en s'attachant plus particulièrement à un couple dont il montrait sur le long terme la vie quotidienne, les espoirs et les désillusions. Dans So Well Remembered, même si l'on évoque plusieurs fois les conditions de travail déplorables et les logements insalubres des habitants des bas-quartiers de la ville, la condition ouvrière, les luttes sociales, la vie de cette communauté humaine et la ville elle-même n'étaient qu'un contexte restant en toile de fond d'un récit centré sur quelques personnages, et surtout sur un couple utilisé de manière à la fois réaliste et symbolique. Car cette fois, dans ce film qui peut être considéré compte tenu des opinions politiques de Dmytryk comme son premier film personnel et le premier réalisé hors de ses bases, plutôt que de montrer la lutte contre les injustices sociales, il va surtout chercher ce qui en amont des conflits sociaux, au coeur des êtres et de leur histoire est à l'origine des clivages responsables des désordres sociaux qui divisent les communautés. Il fait en quelques sorte rentrer la lutte sociale à l'intérieur d'un couple improbable formée presque accidentellement à la suite d'une rencontre amoureuse qui ne serait probablement jamais produite dans une société aussi clivée que celle qui est montrée, sans les revers de fortune et le quasi bannissement des Channing. Le film tente de démontrer l'incompatibilité ou en tout cas l'impossible symbiose entre deux mondes aux motivations antagonistes. C'est l'origine sociale des époux qui a conditionné leur attitude à l'égard de leur communauté.

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L'altruiste et intègre George Boswell (John Mills), d'origine ouvrière, est l'homme du peuple engagé pour sa communauté. Témoin de son monde par son métier de journaliste, il ira plus loin en s'engageant en politique. Olivia Channing (Martha Scott), celle qui deviendra son épouse, symbolise l'ambition et le désir de pouvoir de sa classe sociale d'origine mais on ne découvre que sur le très long terme que la chute et le déclassement de sa famille n'avait en rien modifié la vision du monde que son éducation avait conditionné. Le révélateur de la véritable nature d'Olivia Boswell ne sera d'ailleurs pas son mari mais le 3ème personnage essentiel du récit, le Dr. Whiteside (Trevor Howard). Le médecin de la ville passera par tous les états. D'abord lucide et désabusé sur les possibilités d'améliorer la condition humaine, accablé par l'étendue de ses responsabilités et la faiblesse de ses moyens et de ceux de ses malades, il passera par la dépression et l'alcoolisme et sera soutenu alors par Boswell avant que les rôles ne s'inversent et qu'il devienne à son tour le plus grand soutien et le réconfort de son ami lorsque celui ci connaîtra à son tour une longue éclipse. Whiteside, en tant que figure morale plus que par son engagement dans la vie de la cité, est aussi le porte parole des ouvriers et en tant que soignant le témoin des conséquences de leurs difficiles conditions de vie. Il sera notamment en 1ère ligne lors de l'épidémie de diphtérie qui servira de révélateur à l'ensemble des protagonistes et influencera de manière décisive leur avenir.

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Comme on l'aura compris, plus que par le pseudo documentaire, Dmytryk passe par le romanesque et respecte donc le matériel littéraire à l'origine du film et il passe par les moyens du drame pour faire passer son message, certains des ultimes prolongements du récit étant la seule faute de gout d'un film presque parfait. C'est en effet seulement lorsque des mondes qui ne se côtoyaient plus finiront par se retrouver de manière inattendue en raison de la rencontre "accidentelle" de la génération suivante que le récit connaîtra quelques excès mélodramatiques. Le retour d'Olivia amenant avec elle Charles Winslow (Richard Carlson), le fils qu'elle avait eu d'un second mariage permet la rencontre avec Julie Morgan (Patricia Roc), la fille adoptive du docteur Whiteside ce qui entrainera des péripéties qui n'étaient pas toutes indispensables mais cette idée de retrouvailles et de nouveaux chocs des mondes des années après leurs séparations donne aussi et surtout des choses sublimes notamment en raison de la lutte sociale qui cette fois prendra un tour très concret puisque si nous retrouvons un George Boswell toujours inchangé en porte parole des ouvriers, le retour d'Olivia venu récupérer la position sociale jadis perdue rendra l'affrontement de jadis, symbolique plus qu'idéologique, possible.

La construction pourrait paraitre très (trop ? ) solide mais cette chronique qui s'étale sur 25 ans et qui montre sur le long terme des personnages complexes et secrets prend son temps pour faire sa démonstration, ce qui fait que le récit est aussi beaucoup moins manichéen qu'il n'y parait. Certes, Dmytryk pose fermement les bases de ses personnages mais on n'est pas dans un film à thèse démonstratif "à l'américaine" comportant parfois, même pour les plus réussis de cette famille là, de grandes scènes dramatiques spectaculaires, de vibrants plaidoyers humanistes, des discours plus ou moins édifiants…et parfois démagogiques ou comportant des performances d'acteurs voyantes. Ce qui est au bout du compte un plaidoyer pour l'engagement désintéressé de personnalités charismatiques qui mettent -ou le devraient- leurs compétences au service de la cité refuse les "effets", la discrétion à tous les niveaux des moyens d'expression n'empêchant pas le film de véhiculer une force émotionnelle peu commune. Dmytryk, l'américain réussissant du premier coup un très grand film anglais, bien aidé il est vrai par les grands anglais de sa distribution, Trevor Howard et surtout John Mills étant absolument sublimes dans un film qui vous prend tranquillement mais qui ne vous lâche plus en raison d'un pouvoir d'envoutement grandissant tout au long du récit.

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Même la mise en scène de Dmytryk reste discrètement brillante. On ne la remarque véritablement que dans les relativement rares scènes d'extérieurs. Lorsqu'au début du film, sans discours, Dmytryk fait "l'état des lieux" de la situation sociale de Browdley, il le fait pendant les déambulations de George Boswell à vélo dans les rues de sa ville. Toutes ces superbes séquences urbaines ne sont jamais un simple témoignage même si Dmytryk plante sa caméra à des coins de rues toutes identiques, comme le sont du reste les maisons, soulignant ainsi la condition sociale semblable de tous les habitants de cette partie de la ville. Ce qui l'intéresse surtout c'est de faire comprendre le prestige dont jouit le modeste journaliste salué et interpelé tout au long du chemin. Le capital de sympathie accumulé par cet homme modeste, discret et même presque terne est une surprise pour le spectateur mais il s'explique par l'altruisme primordial sans arrières pensées et l'intégrité d'un homme qui s'est senti toute sa vie obligé d'agir pour sa communauté mais qui n'a pas une personnalité "spectaculaire". Ni tribun ni démagogue, ses propositions concrètes, sa simplicité et l'humour de ses discours séduira son auditoire dans les rares scènes ou on le verra dans son rôle d'élu local, d'abord pendant la campagne électorale pour tenter de rentrer à la chambre des Communes qu'il ne mènera pas jusqu'au bout en raison ou à cause du soutien de la bourgeoisie locale. Refusant une carrière politique toute tracée, il se contentera de devenir maire de sa ville après n'en avoir été longtemps qu'un conseiller municipal puis un adjoint. C'est d'ailleurs Olivia qui avait été à l'origine de cette tentation de carrière politique nationale (Je mets tout ce qui concerne la personnalité d'Olivia et plus globalement la fin de mon texte intégralement en spoiler). [spoiler]La fille de John Channing, l'industriel propriétaire de la filature de coton, qui avait grandi dans la vaste demeure isolée qui domine la ville, même au plus bas après que son père ai tout perdu, demeurera toujours la secrètement ambitieuse Olivia mais elle ne révèlera que lentement sa véritable nature calculatrice et manipulatrice. L'art de ce film tout en subtilité fait que nous ne prenons conscience de la "monstruosité" de ce personnage qu'à la toute fin du récit, lorsque le docteur Whiteside aura mis en perspective tous les actes importants de la vie d'Olivia pour George Boswell…et pour le spectateur. Auparavant, elle aura tenter de se servir de la popularité de son mari pour l'inciter à se lancer dans une carrière politique nationale appuyé par un parrain politique, un industriel aussi peu scrupuleux que l'avait été des années auparavant le père d'Olivia. Elle tentera de le tenir éloigné des intérêts de la population ouvrière de Browdley…en vain.

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Puis lassé par le manque d'ambition de son époux et ne supportant plus ses initiatives "non payantes" socialement, la séparation à l'initiative d'Olivia sera inéluctable et interviendra lorsque le seul enfant du couple mourra durant l'épidémie de diphtérie, indirectement par la faute d'Olivia. Par la suite, elle se mariera à nouveau, cette fois avec un homme de son milieu d'origine, toujours avide de recouvrer une position sociale perdue. Elle y parviendra, et tiendra même sa revanche en rachetant l'usine abandonnée par son père…mais en renouvelant par la suite les mêmes erreurs que ce dernier. Même à ce moment là, le rapprochement rêvé par George mais fondé sur des illusions sera impossible même quand les deux ex époux se retrouveront lorsque George ira plaider en vain auprès d'Olivia la cause des employés de l'usine mais il y aura tout de même une possibilité de greffe entre les deux mondes lorsque Charles, le fils d'Olivia tombera amoureux de Julie, la fille adoptive du docteur Whiteside.[/spoiler] La toute dernière partie du film est, je l'ai dit plus haut, l'un des rares points faibles d'un film magnifique qui souffre aussi un peu d'une distribution inégale. Les anglais sont grandioses mais les deux américains de la distribution sont un peu moins convaincants. Richard Carlson, pas très souvent à pareille fête, ne s'en sort pas mal dans un rôle difficile mais c'est surtout Martha Scott qui par moments sur-joue qui n'est pas tout à fait à la hauteur des deux monstres de sobriété qu'elle côtoie. En revanche, le final absolument sublime qui nous fait retrouver la petite ville le jour de la fin de la guerre par lequel il avait commencé et qui montre George Boswell qui -on le sait maintenant- à une double raison de se réjouir..car doublement "libéré" est un moment exceptionnel.

Bien que grand amateur de films noirs aimant beaucoup les quelques films que Dmytryk donna au genre à l'exception de Pris au piège (Cornered), un très moyen thriller ayant pour toile de fond la seconde guerre mondiale, les deux films réalisé par ce metteur en scène qu'aujourd'hui je préfère sont d'abord celui qui est pour moi son chef d'oeuvre, Donnez-nous aujourd'hui (Give Us This Day/Christ in Concrete (Je viens d'ailleurs de lire un commentaire de Noël Simsolo qui lui aussi, après Bertrand Tavernier, considère que ce film est le chef d'oeuvre de Dmytryk)…puis viens ensuite ce So Well Remembered qui lui est à peine inférieur. vu en vost anglais.

 

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Films Noirs
  • Critique des films noirs du cinéma américain entre 1940 et 1960. + cinéma "policier" au sens large. Le principe : Un court résumé du film pour situer l'action et les personnages, puis mise en avant des points singuliers du film, bons et/ou mauvais.
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