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Films Noirs
25 juillet 2015

While Paris Sleep

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Réalisation : Allan Dwan / Production : William Sistrom (Fox Film) / Scénario : Basil Woon / Photographie : Glen MacWilliams / Musique : R.H. Bassett et Arthur Kay  

Avec Victor McLaglen (Jacques Costaud), Helen Mack (Manon Costaud), William Bakewell (Paul), Jack La Rue (Julot) 

Jacques Costaud, un héros de la guerre 14/18 avait été par la suite condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir tué un homme. Après 15 ans de bagne, apprenant  que sa femme est sur le point de mourir et ne supportant pas de savoir sa fille livrée à elle-même,  il s'échappe de l'Ile du diable et regagne Paris. Manon, sa fille, ignore qu'il est en vie. Elle ne l'a même seulement jamais vu. Sans ressources à la suite du décès de sa mère, elle est expulsée de la chambre qu'elle occupait mais alors que le soir même elle se présente pour rassembler ses affaires, elle rencontre Julot, l'homme qui l'a déjà remplacée comme locataire.  Travaillant  de nuit et comprenant le dénuement de la jeune fille,  il l'autorise à profiter de son repas et à passer la nuit dans son ancien logement. Le lendemain, il lui trouve même un modeste emploi dans un bar miteux, le  "Casque d'or" ou elle assiste Paul, un pauvre accordéoniste qui fait danser dans les bals du quartier. Mais Julot, en réalité proxénète, a d'autres projets pour Manon… 

 

Ce film d'Allan Dwan présente une parenté étrange avec La petite Lise de Jean Grémillon qui était sorti en 1930 alors on peut s'interroger sur le lien entre ces 2 films. Un indice supplémentaire permet de se poser la question car le scénariste Basil Woon, qui avait déjà été le correspondant d'un journal américain à Paris,  avait été renvoyé en France par la Fox pour s'imprégner de l'ambiance parisienne et de ses bas-fonds pour écrire son scénario…mais il faudrait savoir s'il avait profité de son séjour parisien pour voir le film de Grémillon, or on ne le saura jamais. Même si on ne peut pas parler de remake inavoué en raison des différences dans le développement de l'intrigue, la trame de base présente quand même des similitudes notables concernant la situation de l'héroïne au point de départ du récit : mère décédée ; père emprisonné pour meurtre (dans la Petite Lise pour celui de sa femme) ; des scènes d'ouverture qui se déroulent au bagne de Cayenne dans les 2 cas puis la libération de l'un (La petite Lise) et l'évasion de l'autre, avant leur retour à Paris ou ils retrouvent leur fille,  pour l'une,  livrée à elle-même et devenue prostituée et pour l'autre qui pourrait le devenir (mais on sait qu'Allan Dwan voulait être plus explicite sur ce point et que le film a été censuré à tous ses stades, j'y reviendrais plus loin)…et enfin leurs sacrifices pour permettre le bonheur de leurs filles et de leurs maris ou fiancés.

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Néanmoins sur cette trame comparable, les 2 cinéastes livrent des récits différents à tous points de vue. Jean Grémillon (et Charles Spaak) livrent un film mélodramatique à la fois empreint d'onirisme (certaines séquences rappellent Jean Vigo) mais aussi très réaliste et très ancré dans son époque. Il anticipe stylistiquement le mouvement du réalisme poétique dont il est l'une des premières manifestations tout en étant visiblement influencé par la crise des années 30 qui couvait ou qui débutait, et il présente donc, thématiquement cette fois, une partie des caractéristiques d'un mouvement lui aussi à venir, les drames sociaux de l'époque du front populaire. On est obligé d'y penser lorsqu'on entend le jeune couple du film rêver de réunir suffisamment d'argent pour ouvrir une affaire à eux, en l'occurrence un garage. Pour se faire, ils sont prêt à tout et c'est Lise qui paye le plus en recevant des clients chez elle l'après midi…Les rêves de prolos sont donc confrontés à la réalité économique de l'époque dans un film montrant les conséquences de la condition ouvrière de manière réaliste, dure et même assez crue et audacieuse pour l'époque (cf. ce sujet sur la prostitution qui posa tant de problèmes à Dwan). Même si Grémillon se concentre presque totalement sur le drame intime du jeune couple, on pourrait parler de mélodrame social. Toutefois, plus le film avance, plus on s'éloigne du film "social" et du Paris contemporain pour aller vers un Paris intemporel et vers le mélodrame avec des personnages semblant surgis du passé ou de la littérature populaire, comme ce personnage d'usurier (juif comme il se doit dans un film français des années 30…)  

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En comparaison, le film de Dwan semble lui tout entier être l'adaptation d'un roman du 19ème. Jacques Lourcelles fait le rapprochement avec Les misérables…et c'est juste. En voyant le bagnard incarné par Victor McLaglen, on ne peut que penser à Jean Valjean. Au delà de ce personnage, c'est l'atmosphère générale de la ville de Paris qui semble sortir d'un roman de l'époque. On se demande d'ailleurs ce qu'est venu faire sur place le scénariste pour avoir tiré de son expérience une vision aussi caricaturale de la ville et de son peuple.  Je commence par le moins problématique mais le plus symptomatique. Ça commence avec  ce héros dénommé Jacques Costaud puis avec ce Julot. Profession ? Proxénète   (son nom de famille n'est jamais précisé mais j'aurais bien vu Julot Casse-Croute). Puis nous découvrons Paul, l'accordéoniste (le gentil. Ben oui, on a jamais vu un accordéoniste mettre en pièces son instrument à la fin d'un concert). Tous les personnages sont ainsi très typés au point d'être caricaturaux (à titre d'exemple, une mère maquerelle au rire tonitruant et aux regards mauvais est énorme de vulgarité). Si les personnages sont très chargés, pour l'atmosphère générale, on additionne un peu du père Hugo, un bout d'Eugène Sue, un peu de folklore Belle époque (le gang qui s'adonne à la traite des blanches se réunit dans les sous sols d'un cabaret miteux qui s'appelle le "casque d'or") et pour le décor, on est dans un quartier qui fait penser au vieux Belleville dans les ruines duquel je me suis jadis baladé.  

Ce Paris artificiel est en revanche magnifiquement mis en valeur par Allan Dwan. Dans les scènes presque exclusivement nocturnes que filme le metteur en scène, il joue beaucoup avec les ombres plus ou moins menaçantes qui courent sur les murs. Dans une cour qui ressemble à celle de… Fenêtre sur cour, les ombres /silhouettes apparaissent et disparaissent derrière les rideaux offrant aux jeunes gens désoeuvrés et laissés pour compte le spectacle de la vie des autres. Plus loin, dans la séquence la plus violente du film qui se déroule dans les sous sols de la ville, c'est en partie par les ombres géantes des hommes en présence que l'on comprend ce qui se passe. Un informateur de la police est saisi par la bande de Julot et brulé vif dans le four de la boulangerie du quartier, le silence de cette scène presque muette étant brisé par les hurlements de la victime. C'est que dans ce film encore très marqué par le cinéma muet, les meilleures séquences sont muettes.  Après celles montrant le bagne et l'évasion de Jacques Costaud, Dwan enchaine en nous montrant Manon déposer un message en mémoire de son père sur la dalle de l'Arc de triomphe comme le font d'autres anonymes qui viennent déposer un bouquet de fleurs ou une lettre sur la tombe du soldat inconnu. Au même moment, dans un autre quartier de la ville, son père qui vient d'arriver à Paris et erre dans les rues à la recherche de sa fille, s'arrête pour relire une lettre que sa femme mourante lui avait écrite dans laquelle elle lui apprenait que sa fille le croyait mort.  Pour ne pas ternir l'image d'un homme qui avait été un grand soldat (Manon conserve pendant tout le récit la croix de guerre de son père autour du cou) mais qui avait ensuite tué accidentellement un homme au cours d'une bagarre, elle avait prétendu qu'il était mort au combat et que son corps n'avait jamais été retrouvé. Plus tard, dans une séquence que l'on aurait pu trouver telle quelle dans un Silent, Dwan nous montre les retrouvailles ratées du père et de la fille. Renseigné par son ancienne logeuse, Jacques parvenu sur le palier ou habitait sa fille reste sur place prostré et frustré de l'avoir raté d'aussi peu…ignorant que Manon est hébergée par l'homme qui l'a remplacé comme locataire de sa chambre. Manon ouvre la porte prête à sortir mais la referme, renonçant à sortir pour finalement profiter du repas offert par Julot. Une fois qu'il l'aura retrouvé, comprenant les menaces qui pèsent sur sa fille, Jacques préférera rester son ange gardien de l'ombre même s'il comprendra l'attachement qu'éprouve pour lui sa fille dans une magnifique scène de recueillement dans une église de Paris ou il l'avait suivi. Le bien nommé Jacques Costaud (interprété par le massif McLaglen)l se battra pour elle mais avec les seules armes dont il semble savoir se servir, ses poings qu'il fait plus souvent marcher que sa tête. 

 

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Tant qu'il reste dans ce registre là, McLaglen est solide mais il montre vite ses limites dans les scènes dramatiques survenant plus nombreuses à mesure que le film avance mais il en est parfois touchant de maladresse…et après tout l'incapacité à comuniquer était aussi dans le rôle de cet homme qui ne saura pas montrer son affection à sa fille mais qui la démontrera par son courage et son sens du sacrifice.  De manière moins heureuse, le jeu des autres comédiens semble parfois lui aussi sorti du passé, notamment lorsque Helen Mack (Manon) manifeste de manière excessive, par une gestuelle héritée du muet, sa peur ou son inquiétude. Jack La Rue (Julot) est également concerné dans au moins une séquence, celle de sa rencontre avec Manon, au cour de laquelle Il montre ses véritables intentions quand, après avoir tenté de la rassurer et lui avoir proposé de l'héberger quelques temps pour l'aider, Dwan le montre un court instant grimaçant et inquiétant derrière la porte qu'il s'apprête à franchir pour aller "travailler". Manon, elle, déambule dans ce monde sordide sans se rendre compte des intentions des hommes de son entourage. Même Paul n'est pas tout blanc. Il semblera d'abord indifférent puis l'aidera mais aura besoin d'être poussé à le faire.  

 

Enfin pour finir, un mot sur les vicissitudes de cette production.  Lorsque le Hays Office à visionné le film au début de 1932, il a refusé catégoriquement de le sortir en l'état exigeant de nombreuses coupures. Des passages entiers ont été supprimés et des scènes retournées dans les semaines suivantes. Les échanges entre la direction du comité de censure et la Fox ont été conservée mais il serait fastidieux de rentrer dans les détails. Toute allusion à la prostitution posait problème. Le bar ou travaillait Manon, visiblement un bar à hôtesses du être "nettoyé". Le travail de Julot, un proxénète et son réseau qui sous couvert de rechercher des modèles couvrait un réseau de traite des blanches…a été conservé mais de manière allusive grâce semble t'il à un stratagème trouvé par Dwan lui même. La bande de Julot n'enlevait plus des filles…mais proposait à Manon de devenir modèle pour un couturier sud-américain en la prévenant que les hommes riches se servaient de son établissement comme d'une agence matrimoniale. Il reste tout de même des allusions plus directes à la prostitution. Ainsi lorsque Jacques, à la recherche de sa fille déambule dans Paris, une fille l'aguiche en lui faisant signe de la tête de monter.   Juste avant, à Manon qui s'inquiète de son avenir maintenant qu'elle n'a même plus un toit ou dormir, sa logeuse lui réponds : "If I had a face and figure like yours, I wouldn't ask silly questions !" . Même tel qu'on peut le voir le film suscita des réactions parait-il indignées de certains ambassadeurs sud-américain, pas contents qu'on laisse entendre que des femmes pouvaient être exploitée sexuellement au sein de réseau de traites des blanches en Amérique latine. Plus près de nous, Paul Claudel, alors ambassadeur de France à Washington, écrivit au Hays Ofice pour protester contre l'image de Paris que renvoyait ce film ! Difficile de juger d'un film aussi mutilé. Tel qu'il est, je vois un bon Dwan mais pas un aussi beau Dwan que celui qu'à vu Jacques Lourcelles. Néanmoins, reste tout de même l'envie de replonger au plus tôt dans les Dwan des années 30.

 

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Films Noirs
  • Critique des films noirs du cinéma américain entre 1940 et 1960. + cinéma "policier" au sens large. Le principe : Un court résumé du film pour situer l'action et les personnages, puis mise en avant des points singuliers du film, bons et/ou mauvais.
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